INTERVIEW - Elsa Zylberstein : ’’Être féministe n’empêche pas d’être romantique’’
Depuis plus de trente ans, l’actrice n’a jamais quitté l’écran. Traçant un chemin unique jusqu’à développer ses propres projets. Autour de figures de femmes inspirantes.
À propos de
Elle nous reçoit tandis que Natacha (presque) hôtesse de l’air est sur les écrans depuis le 2 avril. Dans cette comédie de Noémie Saglio, elle joue avec brio une bourgeoise excentrique. Avant de s’attaquer bientôt à la figure imposante de Simone de Beauvoir.
GALA : Quand vous aimez un projet, vous le défendez. Comme Natacha…, le dernier long-métrage dans lequel vous êtes apparue.
ELSA ZYLBERSTEIN : Oui, j’aime le procédé narratif de ce film, qui plaque des raisonnements modernes et féministes sur un récit se passant dans les années 1960, quand les femmes étaient dépendantes des hommes. C’est un décalage enrichissant, assez jouissif. Je suis dans un métier où il y a encore beaucoup de machisme avec peu de femmes productrices et réalisatrices. Mais ça bouge. J’ai l’impression qu’aux Etats- Unis les femmes arrivent à être puissantes et à s’épanouir.
GALA : Et vous, vous sentez-vous puissante ?
E. Z. : Ça dépend des jours. Mais j’ai une sorte de force. Je prends toutes les décisions moi-même et pour moi. Quand j’ai des revers ou des déceptions, je reçois un coup dans l’estomac mais je continue. J’assume une forme de solitude. Je suis pudique. Si je ne vais pas bien, je reste à l’écart des événements publics. Parfois, il faut savoir se replier pour mieux affronter le monde ensuite.
GALA : C’est la même chose pour votre vie privée ?
E. Z. : Disons que je suis très indépendante. Je n’ai jamais été avec un homme par intérêt. On a le droit d’avoir du pouvoir et de l’argent sans qu’un homme y soit pour quelque chose. Etre accompagnée, c’est un choix que je fais… ou pas. Je n’y vois rien d’obligatoire. Autour de moi, je vois des femmes qui n’ont pas forcément choisi leur conjoint parce qu’elles ont privilégié le confort ou qui ne savent plus quoi faire d’elles-mêmes quand elles divorcent après vingt ans de mariage. Je peux le comprendre, mais ça n’est pas moi. Même s’il est parfois lourd de tout porter, je vivrais comme un cauchemar le fait d’être engagée dans une relation qui ne me satisfait pas. J’ai conscience que c’est difficile quand on a des enfants mais j’envisage une histoire d’amour comme une fête quand on retrouve l’autre. Il n’y a rien de pire que les habitudes et j’aime avoir mon jardin secret.
GALA : Avez-vous le sentiment qu’on se méprend parfois sur votre tempérament, que vous suscitez des malentendus ?
E. Z. : Vous savez, des malentendus, il n’y a que ça et pour tout le monde. Quand on est actrice, on donne à voir un visage, on joue le jeu des tapis rouges mais c’est 2 % du travail. Notre métier, c’est le contraire d’une apparition en robe de soirée. Ça demande d’aller en profondeur, de se mettre des couteaux dans le coeur pour sonder les parties les plus noires de nous-même, quel que soit le film. Personne ne me connaît, au fond. Lorsqu’on a une notoriété, on ne peut pas aller contre une image, contre ce qu’on dégage. C’est au metteur en scène d’aller chercher la vérité qu’on a en soi. Et je ne crois pas au hasard. Les gens qui passent à côté de nous sans nous comprendre, c’est qu’ils ne sont pas faits pour nous. Tant pis pour eux. Je n’en veux à personne. Dans la vie, pour obtenir quelque chose, on doit mobiliser toute son énergie, être obsessionnel.
GALA : Les amoureux qu’on vous connaît ont en commun d’être réputés intelligents. Ça vous est nécessaire dans une relation ?
E. Z. : Le peu de fois où je suis tombée amoureuse – ça arrive rarement dans une vie –, c’est vrai que ça a toujours été des personnalités à part, uniques et brillantes. Peut-être parce que j’ai du répondant… Et puis j’aime le panache. J’apprécie, chez un homme, qu’il soit plus grand que la vie, hors norme, qu’il n’ait pas des codes trop classiques.
GALA : C’est une qualité que vous aimez aussi chez les femmes ?
E. Z. : Bien sûr. Et je me sers de mon pouvoir de développer des projets pour mettre en valeur des femmes iconiques qui m’ont portée. Pendant cinq ans, j’ai oeuvré à la mise en route du long-métrage sur Simone Veil, un modèle de résilience et d’intelligence, et le film [Simone Veil, le voyage du siècle, sorti en 2022, ndlr] a été un grand succès. Là, je travaille sur un projet sur Simone de Beauvoir, qui sera tourné à la fin de l’année, avec Anne Fontaine à la réalisation. J’ai acheté les droits des Lettres à Nelson Algren, qui narrent leur histoire d’amour. J’aime l’idée qu’on puisse avoir écrit Le Deuxième Sexe, avoir revendiqué ne pas avoir d’enfant, avoir eu une liberté intellectuelle et sociale et avoir été à genoux devant un homme par amour. Ça n’a rien d’antinomique. Etre féministe n’empêche pas d’être romantique. On peut vouloir l’égalité hommes-femmes et ne pas être en guerre avec les hommes.
GALA : Lors de la pandémie, vos vidéos Instagram « Mytho du soir » ont beaucoup plu. Vous vous y inventiez une vie avec un vrai sens de la dérision. D’où est venue cette idée, qui sera adaptée au cinéma ?
E. Z. : Je me suis inspirée de ce que je ressentais face aux interdictions. On ne pouvait rien faire et j’aime désobéir. [Rires.] Dans la vie, je suis dans le déni. Je n’aime pas le réel. J’ai plein d’entourloupes dans ma tête pour m’échapper et, pendant le confinement, j’ai eu envie de mettre ça en scène. De m’imaginer des dîners, des projets, des voyages, de faire semblant de courir vers un aéroport… En général, la vie est trop dure. Pour la surmonter, il faut s’échapper dans sa tête
Cet article était à retrouver dans le Gala N°1663, disponible le 24 avril dernier dans les kiosques. Pour suivre l’actualité en direct, vous pouvez rejoindre le fil WhatsApp de Gala . Le nouveau numéro de Gala est en kiosque dès ce mercredi 30 avril 2025. Bonne lecture.