INTERVIEW - Rama Yade se confie sur sa vie aux États-Unis : "J'avais besoin d'un nouveau départ"
Passages télé et radio, nouveau livre… Tête d’affiche de l'ère Sarkozy, Rama Yade opère un retour médiatique inattendu à l’occasion de la présidentielle américaine. Entre deux interventions sur le duel Trump/Harris, celle qui vit à Washington depuis 2018 nous raconte sa vie d'après.
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On ne l’avait plus entendue depuis des années. Mais comme au temps de l'UMP, Rama Yade (47 ans) était quasiment partout ces derniers jours : de BFMTV à France 5, en passant par France Inter, la directrice Afrique du think tank Atlantic Council, installée à Washington, a fait le tour des micros pour décrypter cette présidentielle US hors norme et indécise. Avec une "petite pression" à l’idée de recroiser les journalistes qui ont suivi son parcours politique, interrompu en 2017, mais surtout "beaucoup de nostalgie". "Car la France me manque beaucoup !", nous confie-t-elle, tout sourire, sur une terrasse du 18e arrondissement parisien où elle nous a donné rendez-vous. Un come-back que l'ancienne secrétaire d'État aux Sports, qui livre également son analyse dans Les Leçons de l’Amérique (ed. L’Harmattan), attendait depuis longtemps. Gala.fr en a profité pour poser quelques questions à l'ex-étoile filante de la droite.
Gala.fr : Êtes-vous toujours aussi heureuse à Washington ?
Rama Yade : Toujours ! Être directrice Afrique d'Atlantic Council me permet de rester utile sans avoir à subir la violence du monde politique qui a parfois été très dure à supporter. Je prends plus le temps qu’avant, ce qui fait du bien.
Cette violence vous a-t-elle poussée à partir ?
J’étais un peu lassée, c'est vrai, mais je voulais surtout travailler sur l’Afrique et enseigner. J'ai donc saisi l'opportunité. Après 10 ans d’engagement, "in the public eye", comme on dit là-bas, j’avais besoin d’un break. Et quoi de mieux que les États-Unis pour un nouveau départ ? J’ai toujours été fascinée lorsque je visitais New York ou la Californie. Ce nouvel anonymat me permettait de prendre le risque de l’échec. Le rêve américain n’est pas toujours un mythe ! Même si c'était très dur au départ. Je suis partie vite, sans réseau, avec ma fille Jeanne (née de son union passée avec l'historien Joseph Zimet, ndlr) qui avait 5 ans. J’ai d'abord travaillé quasi-gracieusement pour faire mes preuves et, à un moment, j’avais peur de pas pouvoir joindre les deux bouts.
Êtes-vous partie fâchée avec la France ?
Non, même si je n’ai pas décroché les 500 signatures pour la présidentielle 2017. Cela m’a permis de rebondir. D’ailleurs, j’en vois peu mais je suis toujours en bons termes avec d’anciens collègues. Il m’est arrivé d’échanger avec Laurent Wauquiez par exemple, sans être d’accord sur tout.
"J'ai évidemment envie de revenir en France"
À quoi ressemble votre vie américaine ?
Une vie simple : je passe du temps avec ma fille et mes amis, notamment de la communauté française. Je me sens toujours très française aux États-Unis ! Sinon, je fais du sport, notamment de la marche. C’est en marchant que j’ai trouvé le titre de mon nouveau livre ! J’écoute aussi beaucoup de podcasts pour garder un lien avec la France, comme celui de C ce soir de France 5. Mais la gastronomie et la mode française me manquent beaucoup. Rien ne peut les remplacer.
Avez-vous retrouvé l’amour aux États-Unis ?
Ça, c’est mon jardin secret ! Mais tout va bien de ce côté.
Une victoire de Trump pourrait vous pousser à revenir en France ?
Non, pas du tout. Je travaille avec des démocrates comme des républicains, donc je dois rester neutre. Après, il est évident que mes valeurs sont plus proches d’un candidat que d’un autre. Mais j’ai évidemment envie de revenir en France. Cela reste mon pays et celui de ma fille, donc je serai de retour dans quelques temps. Pour de la politique pure et dure ? Je n’ai pas la réponse. Je vis au jour le jour. Je sais que la vie réserve des surprises depuis mon départ du Sénégal pour la France, qui ne devait être que temporaire.
Outre-Atlantique, vous avez suivi de près l’ascension de Kamala Harris. Trouvez-vous la France en retard sur la représentation des minorités ?
Sur ce plan, j’ai un regard plus américain que français. J’ai lu que Nadège Abomangoli (LFI) venait de devenir la première femme noire à présider une séance à l’Assemblée. On en est encore à souligner la couleur des gens ! Aux États-Unis, des plateaux télé sont uniquement composés de journalistes noirs sans que cela n’interpelle. C’est ce qui est aussi fascinant : le pays de Kamala Harris est aussi celui où l’on tue des George Floyd. Celui où l’on abroge le droit fédéral à l’avortement est aussi celui de MeToo. Tout est polarisé. Tout est paradoxe. Et ce qui s’y passe est toujours un avertissement de ce qui attend la France.
"Tout va bien avec Nicolas Sarkozy aujourd'hui"
Vous avez longtemps été un symbole de diversité en politique. Avez-vous craint que la France vous oublie ?
Non, sinon on ne part pas. Mais j’ai un lien particulier avec les Français, que je n’aurai jamais ailleurs. Je suis passée d’inconnue à personnalité politique préférée en deux ans. C’était fort ! Je le ressens encore : on m’arrête dans la rue pour me demander quand est-ce que je reviens. Certains m’ont gentiment reproché d’avoir jeté l’éponge. J’aurais pu rester sous les projecteurs et commenter la présidence Macron sur les plateaux, mais j’aurais été bien moins utile. Mon livre sert aussi à ça, à expliquer ce que j’ai vu outre-Atlantique et à reconnecter avec les Français.
Vous êtes celle qui a tenu tête à Nicolas Sarkozy. Que diriez-vous aujourd’hui à la Rama Yade de l’époque ?
De ne rien changer ! Je n’ai aucun regret, j’ai vécu une expérience formidable même si on m’a bien fait payer mes prises de position. Je n’ai jamais été investie en tant que candidate par mon parti par exemple. Mais je suis restée fidèle à mes idées.
En voulez-vous à Nicolas Sarkozy aujourd’hui ?
Non, tout va bien entre nous. De l'eau a coulé sous les ponts. Notre dernière rencontre était très chaleureuse. Le premier gouvernement Macron venait d’être formé et il m’a dit, avec un clin d’œil : "Nous, c’était quand même une autre affaire… On était des stars !" (rires) Je me suis dit qu’il n’avait pas changé.

Quel regard portez-vous sur ce qu’est devenue la droite ?
J’avais déjà regretté "l’extrême droitisation" de certains et avais quitté l'UMP pour cela. Donc l’alliance Éric Ciotti-RN ne m’a malheureusement pas étonnée. Après la dissolution, des Américains m'ont demandé comment le parti le plus minoritaire pouvait être à la tête de l'exécutif. C’est un extraordinaire coup du sort et il faut espérer le gouvernement Barnier relève le défi. Je me sens toujours proche des idées associées à la vraie droite : la valeur travail, la liberté d’entreprendre... La lutte contre le racisme, qu’on appelle bizarrement "wokisme" maintenant, reste aussi au cœur de mes préoccupations, ce que je faisais déjà il y a 20 ans dans mon livre Noirs de France. Nicolas Sarkozy plaidait alors pour la discrimination positive, contre mon avis.
Il y a moins de figures de la diversité à droite aujourd’hui. Hormis Rachida Dati, qui a rejoint Emmanuel Macron. Travailler avec lui vous a-t-il tenté ?
Je ne le connais pas. Je ne l'ai jamais rencontré, ni voté pour lui. Ce que je sais, c’est que pour travailler avec un président, il faut avoir sa pleine confiance. J’ai déjà été dans une situation où j’étais ministre sans avoir le soutien de l’Élysée, comme lors de la visite du colonel Kadhafi à Paris qui m'avait gênée. C'est mission impossible. Il faut aussi se préparer à la violence en politique qui a considérablement augmenté.
On parlait beaucoup de tensions entre vous et Rachida Dati au gouvernement. Y avait-il une part de vérité ?
Je n’ai pas le souvenir de telles choses.
Votre fille s’intéresse a-t-elle déjà à la politique ? Kamala Harris l’inspire-t-elle ?
Elle s'y intéresse beaucoup, oui. Mais elle appartient à la génération Alpha qui a déjà eu Obama, donc plus rien ne l’impressionne !
Se voit-elle suivre vos traces en politique ?
C’est trop tôt ! Elle veut être maitresse et artiste. Jeanne peint beaucoup. En revanche, elle a été élue déléguée de classe, après un premier échec qui l’a chagrinée jusqu’aux larmes. Je l’ai consolée : ce n’est pas parce qu’on perd une élection qu’on ne t’aime pas ! Je sais de quoi je parle (rires).
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